Poésie du corps, musique de l’être

Le 3 décembre 2018

Poésie du corps, musique de l’être.

« La musique peut rendre les hommes libres » Bob Marley

Je la vois parfois, briller sur les pavés, descendre d’un pas léger et gracieux dans la rue.

Celle qui relie les polarités en nous, celle qui dénoue mieux que personne notre angoisse du vide, notre peur de mourir avant d’avoir connu l’amour et la jouissance de vivre. La musique.

D’un oiseau, d’une feuille, d’un souffle, d’un corps penché, d’une main qui étreint, la musique est un langage universel qui nous porte et nous construit à travers ce qu’elle contient de mémoire collective et individuelle.

-« si tu veux connaître un peuple, il faut écouter sa musique »Platon

Si la vie est contenue dans chaque note, chacune véhicule sa propre vibration et chaque vibration vient toucher et transformer le vivant.

Il en va ainsi pour chaque individu, de chaque espèce, à chaque instant.

La césure dans la musique nous offre l’espace créatif d’une terre nouvelle, d’un plongeon dans l’inconnu, dans cette mémoire qui ne cesse de repousser nos limites. Mémoire perdue, oubliée, pliée sous des piles de devoir- faire, d’un futur fabriqué et anxiogène.

La césure est comme le temps suspendu de la rupture, du deuil, qui nous donne l’espace nécessaire d’accueillir dans le présent, notre passé, et le recul pour nous laisser traverser, enseigner, entre ces deux temporalités.

Le silence est subversif.

Silence plein, invisible, point d’appui hors cadre, il annonce la fin et le commencement, les épousailles de la vie et de la mort.

Ces intervalles sont des espaces psychiques et créatifs, espaces de réconciliation entre le passé, le présent et le futur, le linéaire et le circulaire, le charnel et le spirituel.

Voici le récit d’un homme que j’ai rencontré lors d’un séminaire d’auteurs, compositeurs, interprètes :

« Mon avion allait s’écraser et j’avais sauté dans le vide pour atterrir en pleine forêt Amazonienne. Le choc de l’atterrissage fut d’autant plus choquant qu’en plus d’avoir frôler la mort, je me retrouvais nez à nez avec une tribu qui était tout aussi surprise et sur ses gardes que moi de cette rencontre improbable et intrusive. Des hommes et des femmes nus, parlant un langage qui m’était incompréhensible, se montraient méfiant, devant l’inconnu de mes intentions.

Ne sachant comment communiquer, il me vint une intuition qui fut le point de départ d’une relation fraternel.

Je sorti de ma poche la seule chose que j’avais sur moi, une guimbarde.

Et je me mis à jouer, de toute ma vie, de tout mon être. Les corps tendus écoutaient, et les yeux ne tardèrent pas à s’adoucir, les sourires à venir.

Les armes se posèrent à terre, suivies des hommes, des femmes et des enfants.

Quand j’eu terminé, le chef de la tribu me tendit une boisson de bienvenue. »

Un peu plus tard, cet homme adopté par la tribu, raconta que les femmes chantaient des berceuses similaires aux nôtres, alors que ces personnes n’avaient jamais rencontré un occidental avant lui. 

La musique nous est donné avec la vie, cette vie, nous avons le choix de la nourrir de manière qualitative et singulière, dans l’altérité, ou de manière quantitative, normative et mortifère.

Prêter l’oreille, écouter, dans les intervalles, dans les silences, ce qui tisse la trame de nos vies.

Ce qui se dévoile, c’est l’éternité, et dans l’éternité, la présence.

Qui emporte tout, qui métamorphose, nos peurs, nos chagrins, nos monstres, nos répétitions.

Les sociétés produisent des pollutions chimiques, environnementales, climatiques, psychiques, sonores (sirènes de polices incessantes et autres ). Elles se servent de notre besoin de sécurité fragile et de notre besoin d’interroger l’avenir pour nous imposer et nous faire accepter l’inacceptable.

En nous faisant la proie d’un futur désastreux, en nous contraignant à presser notre pas, en nous culpabilisant par la croyance que nous sommes responsables de toutes ces pollutions savamment étudiées qui génèrent de la peur et servent des intérêts économiques mondiaux, nous oublions que c’est pourtant par la qualité de notre présent et de notre présence que nous faisons le lit de notre sécurité intérieure et la qualité de notre futur.

« Si tu veux contrôler le peuple, commence par contrôler sa musique. » Platon

Un monde heureux est un monde qui n’a pas peur de l’avenir ni du silence. C’est un monde dont la mémoire sert de point d’appui et non de fatalité, un monde qui a conscience de son propre rythme, de son origine et de toute la puissance de désir et d’action qu’elle contient.

Goûter la musique du vivant de tout son être, se recréer dans ses silences, c’est reconnaître cette force de vie en mouvements, qu’aucun temps ou contre temps ne vient déranger dans son élan, qu’aucune manipulation ne peut détourner de sa trajectoire.

Être en corps, se mettre en corps, corps vibrant, musical, corps lumière, corps matière, corps esprit, corps de chair et d’émotions.

Incarner notre corps est le défi de notre humanité, incarner notre matière plus que jamais, dans une ère où l’ «intelligence » artificielle et la dématérialisation nous soumet à toutes les épreuves et permet tous les débordements.

Il en va de notre dignité.

Carole Mazzoni, canalsouffle.com

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